Jette, comme d’autres communes de Bruxelles, doit faire face à l’afflux depuis un demi-siècle de nouveaux habitants venus de l’étranger. Comment accueillir ces immigrés? Plutôt que le « vivre ensemble », on tombe souvent dans le péril du « vivre à côté ».
C’est une préoccupation majeure dans cette commune de Bruxelles, qui connaît depuis longtemps un afflux de nouveaux arrivants (52.000 habitants au dernier pointage). Des arrivants venus des quatre coins d’Europe et du monde, comme ailleurs à Bruxelles. L’immigration africaine et maghrébine déjà anciennes, ou la plus récente des pays de l’Est de l’Europe. « Parfois il y a un fossé culturel évident, note Yannick Delforge, le bijoutier de la place Reine Astrid. Des gens des pays de l’Est poussent la porte, on leur dit bonjour, et on nous regarde avec des yeux ronds ». Illustration avec ce groupe de Moldaves – huit hommes et une femme de 21 à 30 ans – installés en terrasse à deux pas de la place du Miroir. Deux seulement sont capables de dire quelques mots de français: « On travaille dans une grande entreprise de construction. On n’a pas de contacts avec les Belges. On préfère se retrouver entre nous après le travail ». Compréhensible, si l’on considère le dur labeur et la barrière de la langue. Dur à admettre quand on vit depuis toujours à Jette.
L’isolement familial et culturel, Touria Menkor en a fait la lutte de sa vie. À Jette, cette pétillante belgo-marocaine a fondé l’ASBL « Fleur du soleil – Femmes du monde ». Son mantra: sortir les femmes bruxelloises de chez elles. Physiquement et mentalement.
Cela passe par des activités de bien-être, des excursions, des médiations mais aussi des cours de français. « L’isolement, cela concerne toutes les femmes. Certaines sont vraiment en détresse!, prévient Touria Menkor. Mais on a évidemment plus de membres maghrébines que de Belges ‘de souche' », reconnaît-elle. « On manque de liens de voisinage, fraternels, amicaux… » regrette-t-elle.
Parfois, Touria Menkor se désespère: « J’ai vécu presque toute ma vie à Jette. Depuis quelques années j’ai l’impression d’être redevenue une étrangère; surtout depuis les attentats. Mais on est Belges. On est des enfants de la Belgique. J’ai l’impression que tout le monde se déteste, on a peur de tout. Presque peur d’aller demander du sel à son voisin ». Elle ne baisse pas les bras. Jamais. « Jette est vraiment un village. J’aime cette commune. Elle reste accueillante, on fait tout comme une famille ». Au sein de son association, elle exclut les considérations politique ou religieuse – « toujours le frein à toute discussion ou à toute solution rationnelle », lance cette musulmane pratiquante.
Paradoxalement, si au sein de la population jettoise les murs entre communautés sont épais, un discours interreligieux existe. « Avec mes six frères, nous sommes de nouveaux Jettois. La communauté de Saint-Jean, à laquelle j’appartiens, a repris le prieuré Sainte Marie-Madeleine en 2010 », raconte François-Emmanuel, moine français de 60 ans.
En tant qu’homme d’Eglise, ce « petit gris » (le surnom des frères de Saint-Jean, en rapport avec leur habit) est aux premières loges pour observer la commune et ses fidèles: « Les Jettois ont les préoccupations de tout un chacun (le logement, le coût de la vie…). C’est une commune très mixte. Nous avons parfois deux tiers d’Africains ou de Belges d’origine africaine à nos messes. Bruxelles est un brassage de populations ». Le croyant témoigne de contacts fréquents entre imams et prêtres. Mieux: il participe, environ une fois par mois, à un groupe islamo-chrétien. Cinq chrétiens et cinq musulmans se réunissent pour discuter d’un thème religieux, prier ensemble et partager un bon repas. « Les tensions, voire les guerres, partent du manque de dialogue. Il ne faut pas avoir peur d’aller vers les gens, de frapper à la porte, se parler », martèle le catholique.
En 58 ans de vie à Jette, Marc De Vleesschauwer a vu sa commune changer. « Il y a cinquante ans, il y avait surtout des prairies ici. C’était une population de paysans. Jette est devenue petit à petit multiculturelle. Mais je trouve que les nouveaux arrivants ont respecté cette commune », juge ce peintre en bâtiment à la retraite, à l’inimitable accent « brusseleir ». Loin de l’image renfermée – ou carrément raciste – que montre l’enquête « Noir Jaune Blues » de la société belge, Marc a une opinion qui détonne dans la Belgique de 2017: « Les plus anciens devraient accueillir les nouveaux arrivants. C’est à nous de faire le premier pas, suggère-t-il en promenant son immense berger canadien blanc au parc Roi Baudouin. Je pense par exemple qu’on pourrait organiser chaque année dans les quartiers un souper ou un ‘drink’ pour les accueillir ».
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source: http://plus.lesoir.be