Je ne connais pas Bruxelles. Pourtant, j’y habite. Trois ans de vie à Woluwe-Saint-Pierre puis à Etterbeek n’ont pas suffi au natif du Hainaut que je suis pour me permettre de poser un pied dans le Nord-ouest de ma ville. Il aura fallu cette immersion d’une semaine pour (enfin) découvrir Jette: commune verte, ouverte et qui attend une meilleure desserte (via le futur tram 9).
« Souvent, on me reproche: ‘Tu habites de l’autre côté du Canal’. Je leur réponds: ‘Mais vous aussi, vous êtes de l’autre côté du Canal' », s’amuse le père François-Emmanuel, que j’ai rencontré dans son prieuré sur la place du Miroir.
Que cela me serve de leçon: on est parfois à un pont de faire de belles rencontres.
Après une semaine de discussions, de portes poussées, de bières partagées et de débats féconds, les Jettois ont offert le plus beau des cadeaux pour un journaliste: le fond de leur pensée. Sans tabou mais sans noircir le trait, ils décrivent une vie paisible, un peu à l’écart de la fureur du centre de la Région-capitale. Un « village », ils le répètent. Y habiter est peut-être « le secret le mieux gardé de Bruxelles » ose même Kelly, la jeune libraire qui ne sort presque plus des frontières de sa commune. Sans angélisme, ils décrivent aussi ce vivre ensemble fantasmé, qui se transforme plutôt en « vivre à côté », « en parallèle ». Ce n’est pas très grave, tant que l’on vit en paix. Mais cela menace l’esprit village que les Jettoises et les Jettois chérissent plus que tout. Certains ne renoncent pas. Ils s’appellent Marc, Touria, Nikita, Florence ou François-Emmanuel… Jettois de cœur ou d’adoption, ils jettent (sans mauvais jeu de mots) des ponts, proposent, inventent.
Presque tous les habitants avec qui j’ai entamé la conversation saluent la démarche « Noir Jaune Blues, et après? ». Pourquoi? La seconde d’après, ils ont parfois des mots très durs envers les médias. Comme ce groupe d’étudiants en soins infirmiers, rencontrés à la bibliothèque en plein travail de groupe: « On ne sent pas de tensions entre communautés, ce sont les médias et la politique qui créent ce climat ». Ils en oublieraient presque qu’ils parlent à… un journaliste.
Que cela me serve de leçon (bis): parler ensemble, écouter, transmettre… c’est déjà faire société.
L’opération « Noir Jaune Blues, et après? » ne résoudra pas tous les problèmes. Elle ne sauvera pas davantage la presse de la défiance d’une partie des Belges. Mais elle permet, au moins symboliquement, de « franchir le Canal » et m’a ouvert l’esprit à d’autres réalités. C’est déjà beaucoup.
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source: http://plus.lesoir.be